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Formation scientifique : l’urgence d’une réforme

Collectif Maths & sciences

11 iun. 2023

L'urgence de l'amélioration de la formation scientifique en France pour répondre aux défis sociétaux fait désormais consensus. Au lycée, la dernière réforme a entraîné une diminution inquiétante des effectifs scientifiques, surtout pour les filles. Alors que les différents acteurs mobilisés proposent de changer de contenus, de méthode, d’objectifs, la crise actuelle mérite un changement plus radical : fondons les choix éducatifs sur une véritable réflexion collective guidée par des objectifs clairement annoncés ; évaluons ces choix par une analyse scientifique des données publiques et accessible à tous. Voilà une chance inédite de progresser rapidement : saisissons-là !

Le déclin français des mathématiques et de la culture scientifique en général se confirme au gré des informations nouvelles : le niveau des élèves français en mathématiques baisse dans les tests internationaux depuis plus de trente ans1 ; les élèves – surtout les filles2 – choisissent moins les enseignements scientifiques depuis la réforme du lycée3 ; les effectifs d’étudiants des formations scientifiques ne suffisent plus à répondre aux besoins économiques ; le nombre d’enseignants-chercheurs en mathématiques diminue depuis plus de vingt ans ; le nombre de leurs publications marque le pas4. Les assises des mathématiques5 ont permis de relayer ces constats reconnus à présent comme un problème majeur par les communautés éducatives, professionnelles et politiques. Mais l’essentiel reste à faire : passer d’un consensus de constats, acquis, à des actions concrètes capables d’inverser la tendance. Comment y parvenir en évitant notamment que des idées préconçues ne conduisent à des décisions inefficaces ?


La réforme de la voie générale du lycée de 2019 et ses aménagements témoignent de la faible efficacité des stratégies des politiques éducatives sur ce sujet. Mise en place sans objectif clairement annoncé, malgré les réserves des parties prenantes, la réforme remplace le système des séries S, ES, L en première et terminale par un système au choix avec un tronc commun sans mathématiques complété par trois enseignements de spécialité en première, puis deux en terminale. Les mathématiques deviennent une spécialité, avec un contenu unique, inadapté aux élèves souhaitant s’orienter vers les sciences économiques ou la gestion. S’ensuit son abandon massif dès la première6. En terminale, le nombre des élèves suivant 6h de mathématiques ou plus chute de 200 000 à 140 000, touchant particulièrement les filles en parcours scientifique7. Le renoncement aux séries a donc eu des effets secondaires négatifs indéniables sur l’enseignement des sciences, négligés par les politiques malgré les alertes. L’absence de retour critique sur les données disponibles pour évaluer la réforme a ralenti le travail d’analyse des données et la diffusion des alertes, retardant les corrections possibles. L’ajout d’1h30 de mathématiques dans le tronc commun pour les élèves n’ayant pas choisi cette spécialité en première, décidé en urgence, largement contesté8, non étayé par des analyses de la communauté éducative et académique, risque à nouveau de s’avérer inefficace.


Ce pilotage par essai-erreur n’est pas satisfaisant au regard des enjeux majeurs que représente la formation scientifique pour notre pays. Devra-t-on attendre encore trois ans pour constater l’absence d’amélioration, voire une nouvelle détérioration de la formation scientifique ? Ne perdons plus de temps, faisons mieux, autrement !


Comment ? En accompagnant impérativement la réforme de l’enseignement des sciences d’un travail coconstruit reposant sur une définition claire et publique des objectifs, la transparence et la planification, et des retours critiques à l’aide d’une analyse scientifique des données publiques ouvertes à tous. Une telle démarche permet d’accumuler le savoir en mettant à distance les à priori, nombreux dans le domaine de l’éducation. Elle suppose d’admettre que tous les effets d’un changement ne peuvent être anticipés. Elle se fonde sur un libre accès aux données des expériences, pour assurer la transparence de l’exposition de l’état des lieux initial et du suivi régulier des dispositifs mis en place. Elle confèrerait une crédibilité et une efficacité accrues aux politiques publiques, en articulant les rôles des différents acteurs et actrices de la société : économiques, politiques, scientifiques, éducatifs, usagers.


La volonté d’améliorer la formation scientifique est largement partagée. Concrétisons-là. Définissons des objectifs à atteindre, chiffrés si possible : l’effectif dans les formations scientifiques avec un profil adapté, la part des filles parmi les étudiants en informatique, la part d’élèves de milieu rural suivant 8h de mathématiques ou plus en terminale, la part d’élèves de milieux défavorisés suivant des mathématiques et des sciences en terminale, etc.


Donnons du temps à la communauté éducative, institutionnelle et aux chercheurs pour réfléchir aux moyens possibles et à leur mise en œuvre, en se basant sur les connaissances scientifiques ou de terrain. Par exemple, il pourrait s'agir de proposer deux spécialités mathématiques, de préserver trois spécialités en terminale, de rendre une spécialité sciences obligatoire, d'imposer des doublettes, de regrouper les spécialités communes dans les groupes classes, de faire de l’information précoce à l’orientation, de mettre en place des quotas, des bourses ciblées... Pourquoi ne pas mettre en place des expérimentations préalables dans des établissements choisis au hasard avant de déployer à l’échelle nationale ?


À partir d’un inventaire du système en place, les chercheurs suivraient les évolutions des données qui seraient publiées régulièrement et accessibles à tous, garantissant la transparence de la démarche. Leur observation dans la durée permettrait des ajustements éventuels et une mesure publique de la progression vers les objectifs. Tous les acteurs de la société pourraient prendre connaissance à tout moment des rapports et des données, permettant aux politiques de justifier leurs arbitrages et de recueillir l’adhésion nécessaire à la réussite des réformes proposées.


Ce changement pour réformer les filières scientifiques représenterait une rupture majeure à la hauteur des besoins pour relever les défis auxquels fait face notre société. Alors, n’attendons plus ! Donnons-nous les clés du succès en appuyant les stratégies politiques sur une indispensable rigueur scientifique ; impliquons tous des acteurs et actrices en utilisant toutes leurs compétences et ouvrons largement l’accès aux données.

1Timss, Pisa, Cèdre

2S. Retailleau, Assemblée Nationale, audition du 2 mai 2023 : « le MESR et le MENJ "réattaqu[ent]" le travail pour améliorer "l’attractivité vers les sciences et techniques, les mathématiques, la physique, les sciences de l’ingénieur et l’informatique"»

3Collectif Maths&Sciences, octobre 2022 : « Vers des sciences sans filles ? » 

4HCERES 2022 : Synthèse nationale et de prospective sur les mathématiques  fig 21 pp 51 et fig. 26 pp 55.

5Événement organisé par l’INSMI du CNRS à l’Unesco du 14 au 16 novembre 2022 

6Les abandons en première passant de 47 000 en 2019 à 137 000 en 2022 (ni 23.06 de la Depp)

794 000 filles à profil scientifique en terminale en 2019, et 39 000 en 2022 (ni 23.06 de la Depp)

8Rejet massif du projet de décret du CSE du 20 Décembre, déjà exprimé en juin 2022 


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